L’Orchidée, Danse et Musique Vivantes - Quelques textes
L’Orchidée, Danse et Musique Vivantes - Quelques textes
1 janvier 2011
« ...En l’écoulement incessant de toute chose - ainsi habitons-nous en poésie cette terre... »(projet 2011)
L'Orchidée, Danse et Musique Vivantes
“Danses pour ceux qui sont là...”
Projet 2011
« ...En l’écoulement incessant de toute chose
- ainsi habitons-nous en poésie cette terre... »
« Dichterisch wohnt der Mensch : ces mots de Hölderlin nous assurent qu’en puissance du moins, «l’humain habite en poète». Ils nous ont hantés depuis le commentaire qu’en fit Heidegger dans un texte écrit peu après sa fameuse conférence de Darmstadt Bâtir, habiter, penser (5 août 1951). Ces deux textes introduisent à une ontologie de l’habiter qui a subvertit les dogmes fonctionnalistes du mouvement moderne en architecture. Ils disent en effet diamétralement l’inverse de ce qu’une vision étroite du rationalisme moderne, instauré par la révolution scientifique du XVIIe siècle, a tendu a imposer sur une Terre ramenée à sa dimension physique, en deçà même du vivant: la dimension de la machine qu’invoqua par exemple à la lettre un Le Corbusier. Ils affirment au contraire que l’espace humain, celui de notre existence, est déploiement au delà des limites de l’objet moderne. Il est autre chose que l’étendue cartésienne ou que l’espace absolu de Newton, ce réceptacle neutre et universel où la modernité a plongé le monde et, ce faisant, a fait taire ce que l’antiquité avait nommé le poème du monde.
La poétique première de l’habiter humain, c’est ce poème du monde: cela en quoi l’oeuvre humaine, déployant la Terre en monde, devient écoumène, la demeure de notre être: oïkoumenê gê, la Terre habitée.
Cette poétique est à l’oeuvre dans toutes les dimensions de notre existence, de la vie de notre corps aux formes que nous créons sur la Terre. Elle est déploiement d’espace, et déploiement de temps. Aussi la question concerne-t-elle virtuellement tous les domaines de l’activité humaine; »
Augustin Berque, extrait de l’introduction à la publication des actes du colloque de Cerisy-la-Salle: L’habiter dans sa poétique première (sept.2006, publication éditions «Donner lieu», Paris, nov.2008)
Le fait même d’être humains relève donc d’une fragilité : notre fragilité poétique; fragilité du dire ou du geste poétique. C’est là que réside sans doute le coeur de notre condition d’êtres mortels, fragiles et éphémères.
L’énoncé d’une parole poétique est en cela comme une remémoration utile, qui reformule en permanence les traits émergeant de notre «être-en-présence», de l’advenue de notre présence à l’être-au-monde, de cette ouverture de l’être ‘en-l’homme’ à l’être ‘hors-de-l’homme’, à cette ouverture de l’homme à l’être, pourrait-on dire, en reprenant ainsi les termes de la méditation soutenue d’un Martin Heidegger.
La parole poétique est ainsi un lieu privilégié de recueil d’un sentiment de plénitude possible dans la relation éprouvée de l’être humain avec son entourage, avec son environnement, avec son milieu ambiant de vie, qu’il soit «naturel» ou «artificiel». Pour cela-même, elle offre une prise de choix pour le souci du danseur de faire sens, en acte, en situation de prestation devant un public. Cette prise permet à l’acte gestuel de se déployer en une relation du danseur au monde plus ample et plus riche que ce qu’il en est lorsque l’acte gestuel opère seul son déploiement d’espace et de sens; Pour le danseur en situation, la parole poétique ouvre l’espace à des occurrences imaginales riches et multiples qui diffractent l’espace physique en espace mental.
Cette expérience, nous l’avons très concrètement éprouvée en 2009, lors de la réalisation du projet «Diptyque-d’après «Au Puits de l’Epervier»». Ce spectacle s’appuyait sur l’écriture poétique d’un Nô contemporain irlandais par le poète W.B.Yeats; Texte magistralement porté en version bilingue par la comédienne-lectrice Anne Cameron, doublée par moments par la comédienne-danseuse Nadia Mouëza, la danse étant portée tant par Nadia Mouëza, que par la danseuse-écuyère Eva Schakmundès, que par moi-même, Roland Paulin...
En fait, c’est par d’autres chemins que nous re-croisons cette piste aujourd’hui: Dans le prolongement du projet 2010 de L’Orchidée, danse et musique vivantes qui était intitulé: « D’un geste d’encre-Poèmes-paysages tracés au fil des saisons...», le questionnement artistique premier portant sur: « quelles lignes tracer dans l’espace -et dans quel espace ?- avec le geste ?...» nous amène à nouveaux frais à réinvestir les termes de cette relation riche: Danse et Parole poétique.
Pour ce faire, nous nous tournons vers la parole poétique de quatre poètes qui nous sont chers: un poète japonais, Saïgyo, et trois poètes européens, D.H.Lawrence, Cees Nooteboom, Roberto Juarroz (les trois premiers choisis par Roland Paulin, le quatrième choisi par Juan Jimena).
Certaines des paroles portées par ces poèmes nous accompagnent depuis longtemps déjà. Elles reflètent des modalités d’une certaine relation au monde, plus ‘incertaine’ et moins péremptoire et instrumentale que la plupart des paroles qui nous environnent. Ce n’est pas un hasard. Ces paroles traduisent une relation au monde dont la modernité a perdu bien souvent le secret. C’est pourtant ce secret qui nous préserve et pour longtemps la possibilité d’une habitation poétique en ce monde,... en l’écoulement incessant de toute chose...
Roland Paulin, octobre 2010.